Bon dia Josep Maria ! Pourriez-vous vous présenter en quelques mots s’il-vous-plaît ?
Je m’appelle Josepmaria Rispa Pifarré et je suis de Pont de Suert, la capitale de l’Alta Ribagorça, l’une des régions les moins peuplées des Pyrénées. Nous n’atteignons même pas les 4000 habitants en rassemblant tous les villages de la région. Elle est composée de trois municipalités : le Pont de Suert (où j’habite, sur la Plaça del Mercadal), Vilaller et la célèbre Vall de Boí, où je travaille depuis 30 ans. (…)
PHOTOS DE: © Rafael López-Monné
Si cette interview vous donne envie de vous balader dans les Pyrénées de Catalogne, rendez-vous par ici !
(…) Dans mon pays, les Pyrénées, tu te réveilles entre les chaînes et les montagnes, et tu t’endors accompagné du chant de l’eau, de ses rivières et de ses ravins. Les forêts d’arbres à feuilles caduques et de conifères imprègnent les paysages des environs, avec des formes et des couleurs changeantes en fonction des saisons de l’année. Et cela accompagné d’une météorologie de haute montagne mais nuancée de vagues méditerranéennes qui permettent au soleil de briller tout au long de l’année.
Que vous dire de plus de mon pays ? Nous descendons les « falles » du haut des montagnes, pendant la nuit du solstice d’été, nous allons chercher des champignons dans les prairies et les forêts les plus denses. Nous marchons le long de sentiers ancestraux que nous avons su préserver pendant des millénaires en tant que patrimoine unique et irremplaçable. Notre relation avec la nature en est donc très intense : c’est une symbiose complexe mais nécessaire.
Je suis un admirateur des arbres géants, pour leur verticalité, leur longévité et leur intelligence évolutive, et je suis un ami des fleurs alpines comme les gentianes, les orchidées ou les silènes. Pour tout vous dire, j’ai même une fille nommée Silène, en l’honneur de la fleur qui grandit dans nos montagnes. Je suis aussi profondément fasciné par les animaux nés au milieu des montagnes comme l’isard, le gypaète barbu et le triton pyrénéen. Pourquoi me demanderez-vous ? En raison des stratégies nombreuses et extraordinaires qu’ils développent pour survivre.
Je suis un fervent défenseur des traditions les plus enracinées, mais il faut aussi savoir nouer avec les problématiques actuelles. J’ai beaucoup de chance de vivre dans les Pyrénées !
Quel est votre endroit préféré, ici, à Aigüestortes, et pourquoi ? Et selon vous, quel est le meilleur moment de l’année pour le visiter ?
Aigüestortes i Estany de Sant Maurici est l’un des parcs nationaux les mieux conservés du sud de l’Europe. On y compte des montagnes qui dépassent les 3000 mètres d’altitude ; plus de 200 bassins d’eau transparents qui s’étendent pour alimenter les cirques et les vallées d’origine glaciaire ; et des bois matures où se cachent des armées animales et végétales d’une grande fragilité biologique. C’est tout un monde de sensations, de parfums, de textures… à la portée de nos capacités sensorielles. Et c’est cet ensemble qui donne toute sa grandeur à cette nature exceptionnelle.
Connaître réellement un parc national comme celui-ci – qui équivaut à 40 000 terrains de football – est pratiquement impossible. Et c’est là que réside toute la beauté de la chose. Il est égocentrique et absurde de vouloir tout toucher, tout connaître et tout atteindre. Il y a des endroits qui doivent être laissés sans surveillance. La discrétion humaine est l’un des moyens les plus efficaces de protéger la nature. Pourquoi ? Parce que ceux qui y vivent, plantes et animaux, peuvent évoluer sans l’arrogance humaine persistante. Un parc sans règles, un jour ou l’autre, cesse d’être !
Les endroits que j’apprécie le plus, ou ceux que je regrette à leur simple évocation sont les pics les plus hauts et les sommets les plus attrayants des montagnes. C’est la fraîcheur d’une forêt lorsque le soleil se réveille, où se mêlent les premiers chants des oiseaux ; la floraison des premières plantes au printemps, ainsi que l’arrivée des premières chutes de neige à l’automne. La morsure du froid intense qui vous rappelle que vous êtes bien vivant ou encore le vent du grand Nord qui souffle ! Toutes les saisons sont agréables pour visiter le parc, mais si je devais n’en choisir qu’une, je choisirais les mois de mai et juin. C’est à cette saison que les premières fleurs éclosent, que le vert des prairies alpines est le plus intense, que la force des rivières et des cascades, causée par la fonte des neiges, est la plus puissante, c’est l’arrivée de la vie et de l’amour. Le printemps est un grand sourire pour la vie.
Pourriez-vous partager avec nous quelques-uns des secrets les mieux gardés du parc ?
Au cours des nombreuses années où j’ai travaillé dans le parc, l’un des emplois les plus gratifiants que j’ai pu réaliser, c’est d’être guide interprète. Il s’agit tout simplement de se promener dans le parc avec les visiteurs, en expliquant, en découvrant, et en interprétant les valeurs naturelles et culturelles qu’il protège, pour ainsi mieux les partager. Seniors, personnes aveugles, jeunes enfants ou étudiants, il y a toujours une histoire à raconter et une nouvelle expérience à vivre.
La nature est un livre ouvert que vous devez savoir lire au-delà des sujets absurdes. Par exemple, lorsqu’on nous demande si les forêts d’Aigüestortes sont vierges, la réponse est claire et forte : non !
Que ce soit au sein du parc, ou de la planète en général, notre espèce, l’espèce humaine, n’a cessé de s’étendre sur la terre, la mer et l’air depuis des millénaires. Et même dans des régions montagneuses reculées telles que les Pyrénées, notre arrivée est re-traçable depuis plus de 10 000 ans.
Peu de temps après que les derniers glaciers quaternaires aient disparus, les premiers chasseurs-cueilleurs avaient déjà colonisé les zones les plus riches en pâturages, animaux ou fruits. Les archéologues du parc ont fait un grand travail de découverte ces quinze dernières années et ont révolutionné les anciennes théories sur l’espèce humaine dans les zones de montagne.
Je suis un fervent défenseur de tout ce qui n’a pas d’importance, tout ce qui est petit ou éphémère. De la fourmi rouge aux lichens qui sont remarquablement enracinés dans les roches granitiques environnantes. Des plantes carnivores qui dévorent passionnément des centaines de moustiques aux espèces microscopiques suspendues dans les eaux froides des étangs. Il y a tout un écosystème inconnu sur lequel « l’autre monde » est fondamentalement basé, celui des espèces les plus connues.
C’est-à-dire qu’un picot noir sans fourmis ne saurait survivre, qu’une truite sans puces d’eau va dépérir, et qu’un arbre fongique ne se développera pas de la même façon sans son environnement de base.
Le parc national et, de manière générale, la nature bien préservée, sont basés sur ces équilibres précaires qui s’établissent entre le grand et le petit, l’éphémère et l’éternel, la lumière et l’obscurité : la nature vivante et la nature morte.
Quels autres parcs naturels recommanderiez-vous ?
Comme l’a dit le père de la géographie catalane, Pau Vila, la Catalogne est une mosaïque de paysages qui se composent de nombreuses couleurs.
On peut compter parmi cette palette les riches montagnes des Pyrénées, les discrètes plages et criques de la Méditerranée, les gorges vertigineuses qui traversent les Pyrénées : Mont-rebei, Terradets, Collegats…, les zones volcaniques telles que La Garrotxa ou des deltas fertiles tels que ceux de l’Èbre, les montagnes pyrénéennes qui avoisinent Pallars, Berguedà, Ripollès, les côtes de l’Empordà, les îles Medes ou le Baix Ter, Els Ports, L’Albera, Montseny, Collserola et tant d’autres pièces naturelles qui composent cette mosaïque qu’est la Catalogne.
Nous sommes entourés d’une géographie extraordinaire et nous devons travailler avec détermination pour en faire un usage harmonieux. Il faut en profiter avec patience, sans se hâter. Les histoires sont écrites depuis des milliers d’années, il faut savoir écouter les voix qui les font résonner. Et transmettre avec générosité aux générations présentes et futures devient absolument nécessaire.
Pour finir, auriez-vous une anecdote à nous raconter sur votre expérience en tant que guide ?
Il est fréquent et facile pour les visiteurs de se tromper et ainsi de créer une anecdote drôle à raconter !
Par exemple, les Cases del Parc de Boí ou Espot sont des centres d’information, ouverts toute l’année, où des milliers de personnes nous demandent quels chemins et quelles zones du parc visiter. La confusion avec les noms de lieux est parfois très amusante : on m’a déjà demandé comment aller au lac Michigan pour se référer aux étangs des Amitges, aller à Chloroform au lieu de Comaloforno, les étangs « astrologiques » des Gémeaux quand ils s’appellent réellement Gémena. D’autres s’étonnent de constater que le petit étang de Llebreta (en français « petit lièvre ») n’a pas de forme de lièvre, car en réalité ce nom fait référence à l’« endroit où pousse le safran ». Ne prenez pas les noms des sites qui vous entourent au pied de la lettre, ils peuvent avoir des origines plus énigmatiques qu’il n’y paraît.
Il y a quelques années, nous avons reçu une plainte très surprenante d’un visiteur qui trouvait le parc national très sale, plein d’arbres tombés, de branches cassées et d’excréments d’animaux… Trop désordonné ! La seule réponse que l’on a pu apporter est la suivante : l’écosystème naturel ne suit aucun modèle de régularité ou de symétrie. Il évolue dans le chaos propre à la nature. Un parc, en effet, conserve cette entropie où petits et grands arbres coexistent, avec des branches droites et d’autres tordues, des vivantes et des mortes. Rappelez-vous que les arbres naissent, grandissent, se reproduisent, meurent et se décomposent. Ce dernier processus nous l’oublions trop souvent, il est pourtant nécessaire au bon déroulement de la vie ! Ne confondez pas les espaces verts des villes avec la grandeur asymétrique de la faune et flore sauvage. Il ne me reste plus qu’à vous inviter à nous rendre visite de jour comme de nuit. La nuit oui, car bientôt nous serons déclarés réserve et destination touristique « Starlight », par l’Unesco, avec des montagnes et des étoiles, des étangs et des planètes, des forêts et des comètes, nous construirons ensemble une grande galaxie naturelle et culturelle qui mérite d’être expérimentée intensivement à chaque saison de l’année sidérale.
Nous vous attendons et vive les Pyrénées !
Un grand merci pour avoir répondu à nos questions ! Après avoir rencontré JosepMaria vous n’avez pas envie d’une petite randonnée au espaces naturels de Catalogne ?
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